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Chroniques
Richard Wagner
Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
Assez rapidement après l'arrivée de Stéphane Lissner aux commandes de La Scala, il était assez attendu d'y retrouver tant Patrice Chéreau que Daniel Barenboim. Plusieurs décennies après le légendaire Ring que l'on sait, le metteur en scène français ne parvient cependant guère à convaincre dans ce Tristan und Isolde qui laisse le spectateur sur sa faim.
Certains détails de son travail milanais de l'automne 2007 témoignent, le lecteur s'en doutera, d'une justesse aiguë. Que la présence masculine soit effrayante pour Brangäne, par exemple, mais aussi le rendu d'une vie d'équipage sur le vaisseau des captives et la présence des soldats au chevet de Tristan. Que manque-t-il donc pour que s'impose sa vision de l'œuvre ? Autre chose que des points de détails, précisément : un souffle qui ne tient pas sur la longueur, rendu asthmatique par de nombreux tics (ses éternelles houppelandes, etc.) et plusieurs recours à l'exagération pour en relancer l'expressivité. Fallait-il qu'autant de gluante hystérie animât les femmes durant le premier acte, que l'ingestion du philtre occasionnât une immédiate scène de copulation, sans parler de l'hémorragie qui emporte l'héroïne ?
En revanche, la scénographie sait à elle seule raconter l'opéra. Savamment éclairée par Bertrand Couderc, les décors de Richard Peduzzi disent la guerre, disent la mer (plateau tournant de la fin du I), la profondeur redoutable du jour qui point (début du II), et l'agonie qui malmène le dévouement amical, si ce n'est amoureux, de Kurwenal.
Dans une inspiration moins complaisante qu'on s'y serait attendu, Daniel Barenboim ouvre la représentation sans appesantir l'inflexion même du Prélude mais en espaçant sa respiration soudain malaisée. Voilà une idée fort intéressante, dramatiquement parlant. Aussi la lenteur parfaitement maîtrisée du crescendo revêt-elle un mystère fascinant, plongeant dès l'abord l'écoute dans l'amour impossible, la sorcellerie, etc. Bien vite, toutefois, le chef force le trait. Poussive, la fosse englue la mise en scène – ainsi de l'interprétation du deuxième acte, proprement interminable. Signalons la profondeur du Vorspiel du III, apathique, résigné, suggérant un à-quoi-bon bouleversant.
Quant aux voix, si Ernesto Panariello est un Matelot plutôt nuancé, la voix trop claire deWill Hartmann, pour irréprochable qu'en soit le chant, ne sert guère Melot, rôle si noir. Alliant une autorité vocale naturelle à une expressivité qu'on ose rarement, Matti Salminen donne un Marke d'une saisissante humanité, loin des poncifs de froide distance et de dignité convenue. Le Kurwenal de Gerd Grochowski accuse un grave détimbré et un aigu relativement raide dans l'Acte I, tandis que le médium s'orne d’une couleur séduisante qui gagnera enfin l'ensemble de la tessiture pour le III, plus intéressant vocalement, mais trop peu habité. Que fait donc subir à Tristan unIan Storey cruellement en-deçà de ses propres moyens (sans parler d'une absence de charisme) ? Dès les premiers pas l'émission est douteuse, le haut-médium dangereusement instable, le grave souvent engorgé, de sorte que le ténor n'offre qu'imprécision à l'acte médian. Timbre chaleureux, ligne vocale soigneusement menée en des phrasés remarquables, Michelle DeYoung signe une Brangäne bien chantante, mais un rien sertie dans ses perfections au premier acte. Libérant enfin la voix, elle se révèle simplement magnifique dans le II.
Enfin, que dire de l'Isolde de Waltraud Meier ?... Théâtralement investie, le soprano/mezzo-soprano articule des phrasés sans souplesse, malmène l'intonation, accuse un timbre appauvri qu'un vibrato trop copieux n'arrange pas, vociférant un aigu tant énorme qu'approximatif : ainsi résumera-t-on son premier acte. Contre toute attente, tout s'éclaire peu à peu dans le deuxième, les problèmes vocaux se solutionnant enfin jusqu'à livrer un dernier acte d'une mouture nettement supérieure.
BB